Avant-goût de vaccination obligatoire

Comme vous le savez peut-être, le gouvernement du Québec a rendu obligatoire la vaccination contre la COVID-19 pour une grande partie du personnel des établissements de santé (arrêté numéro 2021-024, 9 avril 2021), sous prétexte de protéger la santé de la population et plus particulièrement celles des personnes plus vulnérables. Cette mesure exclut les personnes qui accomplissent des tâches administratives et s’applique aux milieux de travail suivants :

  1. les urgences, à l’exception des urgences psychiatriques ;

  2. les unités de soins intensifs, à l’exception des soins intensifs psychiatriques ;

  3. les cliniques dédiées à la COVID-19, dont celles de dépistage, d’évaluation et de vaccination ;

  4. les unités identifiées par un établissement afin d’y regrouper la clientèle présentant un diagnostic positif à la COVID-19 ;

  5. les centres d’hébergement et de soins de longue durée ;

  6. les autres unités d’hébergement ;

  7. les unités de pneumologie.

Notons que le gouvernement a adopté cette mesure alors qu’il est toujours écrit sur la page gouvernementale d’information sur les vaccins ceci (en date du 1er mai 2021) :

« Les études sont en cours pour savoir si les personnes vaccinées ne transmettent plus l’infection et si les mesures de protection habituelles (distanciation physique, port du masque et lavage des mains) peuvent être assouplies. »

Et pourtant l’une des raisons invoquées pour justifier cette obligation du personnel de la santé est justement de protéger la santé des personnes plus vulnérables, notamment les résidents des CHSLD, en principe déjà vaccinés dans une forte proportion et immunisés, si du moins les vaccins sont efficaces, de manière générale et pour cette catégorie de personnes plus à risque.

Notons aussi que le gouvernement va à l’encontre de l’avis formulé par le comité d’éthique en santé publique en janvier, dans lequel on conclut que la vaccination obligatoire des travailleurs de la santé n’est pas justifiable :

« Il n’est pas encore établi si les vaccins autorisés préviennent la transmission du virus vers les usagers et si les travailleurs de la santé vaccinés qui pourraient être subséquemment testés positifs à la COVID-19 pourraient toujours soutenir les services en demeurant en poste (valeur de bienfaisance).

Le CESP considère que les valeurs de liberté, de non-malfaisance et de respect ont plus de poids que la valeur de bienfaisance, dans la mesure où cette dernière n’est pas pleinement réalisée.

Le Comité recommande une campagne de vaccination non obligatoire qui repose sur les valeurs de réciprocité et de solidarité si importantes pour favoriser la vaccination, surtout en temps de pandémie. »

Ce qui montre que nos autorités politiques et sanitaires ne tiennent pas nécessairement compte de l’avis des experts, et qu’elles peuvent en faire fi si cela les arrange. Encore pire, elles peuvent considérer qu’il est avéré que les vaccins réduisent considérablement les risques de transmission du virus quand il s’agit d’obliger les travailleurs de la santé à se faire vacciner, et que cela n’a pas été prouvé quand il s’agit de ne pas mettre fin ou d’alléger les mesures sanitaires comme la distanciation sociale et le port du masque pour les personnes vaccinées, et pour la population en général quand les objectifs vaccinaux auront été atteints. Il faudrait bien que notre gouvernement se décide. Sous prétexte d’hypervigilance, il dit une chose et son contraire. Comme si le principe de précaution, invoqué à tort et à travers, autorisait l’incohérence ! Comme si le principe de précaution ne pouvait jamais avoir pour objet la liberté des individus, que le gouvernement brime sous des prétextes incompatibles les uns avec les autres, selon ce qu’il est opportun de supposer dans telle situation !

Il est vrai que ce qui a pu aussi motiver cette décision du gouvernement, c’est le fait que les travailleurs de la santé non vaccinés devraient être isolés en cas de contamination ou de contact avec une personne contaminée, dans un contexte où le système de santé serait au bord de l’effondrement à cause de la COVID-19 (et pas à cause de l’incompétence ou du sabotage de nos dirigeants), d’après ce que nous disent les journaux et les autorités. Mais n’en serait-il pas de même pour le personnel vacciné, aussi longtemps qu’il n’a pas été prouvé que les vaccins diminuent suffisamment les risques de transmission pour le dispenser de se mettre en isolement en cas d’infection ou de contact avec une personne infectée ?

On peut donc comprendre le mécontentement des travailleurs de la santé quand on leur a imposé l’obligation de se faire vacciner, même si selon cet article (« Travailleurs de la santé : la vaccination obligatoire fonctionne », La Presse, 27 avril 2021), le personnel ciblé ferait ce qu’il faut pour se conformer à cette obligation. Car n’est-il pas évident que le gouvernement, après en avoir fait des anges-gardiens, entend les traiter comme de simples rouages du système de santé, lesquels ne peuvent même plus disposer de leur propre personne ?

Voilà ce qui arrive en cas de refus :

  1. Les personnes qui n’ont pas reçu une dose de vaccin contre la COVID-19 doivent passer au minimum trois tests de dépistage par semaine et en fournir les résultats à leur employeur. Ce qui s’appelle, dans le jargon bureaucratique, « dépistage préventif récurrent ».

  2. Les personnes qui refusent ou omettent de passer ces tests de dépistage ou d’en fournir les résultats à leur employeur doivent être réaffectées à d’autres tâches dans d’autres milieux de travail, vraisemblablement pour éviter la transmission du virus à des personnes vulnérables, bien que vaccinées et immunisées, en principe.

  3. Si cette réaffectation n’est pas possible ou si les personnes concernées la refusent, ces dernières ne peuvent pas réintégrer leur milieu de travail et ne reçoivent plus de rémunération. Ce qui est assimilable à une suspension sans solde. Même si on en parle pas dans l’arrêté, il me semble que cela pourrait aboutir à un congédiement administratif, dans le cas où les personnes concernées persisteraient dans leur refus de se conformer aux nouvelles conditions d’exercice de leur profession.

Il est à craindre que l’autoritarisme dont le gouvernement fait preuve à l’égard des travailleurs de la santé ne s’étendent bientôt à d’autres milieux de travail, plus particulièrement ceux qui relèvent directement ou indirectement de lui, comme la fonction publique et le secteur de l’éducation et de l’enseignement supérieur. Il est plausible que le Conseil du Trésor et les ministères de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur soient en train de préparer des protocoles de réouverture progressive des bureaux, des écoles primaires et secondaires et des campus collégiaux et universitaires pour l’automne 2021 ou l’hiver 2022 dans lesquels de telles obligations pourraient s’appliquer à certains des fonctionnaires, des enseignants et des professeurs, ou peut-être même à tous ou presque tous, du moins s’ils entendent réintégrer leurs bureaux et leurs salles de classe. En l’absence de personnes vulnérables à protéger, on pourrait justifier la vaccination obligatoire en invoquant les coûts importants qui résulteraient d’une éclosion dans ces milieux de travail, et l’incapacité pour ces organismes gouvernementaux et ces établissements d’enseignement de réaliser leur mission dans ces circonstances.

Je suppose qu’on pourrait imposer aux employés qui refuseraient de se faire vacciner de se soumettre à un « dépistage préventif récurrent » comme les travailleurs de la santé. Puisque le virus continuerait vraisemblablement à circuler, puisque les tests PCR ne sont pas nécessairement fiables (ils ne devraient pas servir à des fins diagnostiques sans une consultation médicale car ils ne font pas la différence entre un virus vivant ou des restes de virus mort, le nombre de cycles d’amplification est peut-être trop élevé, et la molécule à détecter aurait été en partie reconstituée par simulation mathématique) et peuvent être à l’origine de nombreux faux positifs, ces employés récalcitrants vivraient constamment sous la menace d’être confinés à la maison s’ils recevaient un résultat positif ou même s’ils avaient été seulement en contact avec une personne qui a reçu un test positif. Voilà qui devraient en inciter beaucoup à se faire vacciner ou, s’ils persistent dans leur refus, à trouver un autre emploi, dans un contexte économique qui s’annonce difficile. Cette mesure aurait donc un effet qui n’a rien à voir avec la santé de la population : soit elle ferait rentrer dans les rangs les têtes fortes qui pourraient avoir envie de désobéir, soit elle purgerait la fonction publique et les établissements d’enseignement de ces mauvais sujets. On pourrait donc parler d’une sélection sociale des comportements d’obéissance et de l’élimination des comportements de résistance. Cela pose certainement problème dans les institutions d’une société qui se prétend démocratique, et à plus forte raison quand il s’agit d’établissements d’enseignement censés développer l’autonomie des élèves et des étudiants. Les enseignants et les professeurs ne pouvant plus disposer librement d’eux-mêmes, ils ne seraient assurément pas les meilleures personnes pour accomplir cette mission pourtant nécessaire à l’existence véritable de la démocratie et à la santé de nos institutions politiques, déjà mises à mal par une année d’état d’urgence sanitaire.


Nota bene – Le lecteur croit peut-être que j’exagère à propos de la fiabilité douteuse des tests PCR. Au lieu de l’inviter à faire de plus amples recherches à ce sujet sur internet ou de lui donner des références qu’il ne prendra peut-être pas au sérieux puisqu’elles ne sont pas conformes à ce que nous entendons normalement dire, je le renvoie au site de notre gouvernement, où l’on reconnaît que les résultats des tests ne sont pas concluants pour ceux qui n’ont pas de symptômes ou qui n’ont pas été en contact avec une personne infectée. Sur sa page de questions et de réponses sur la COVID-19 (en date du 1er mai 2021), voici ce qu’on trouve dans la réponse à la question « Si je n’ai pas de symptômes et que je n’ai pas été en contact avec un cas confirmé, est-ce que je peux aller me faire tester ? » :

« Dans les cas où vous n’avez pas de symptôme ou que vous n’avez pas été exposé au virus, l’efficacité du test pour éviter de transmettre le virus n’est pas encore démontrée actuellement.

Si vous passez un test de dépistage alors que vous n’avez pas de symptôme, il y a un plus grand risque que le test donne des résultats faussement positifs (un test peut être positif même si vous n’êtes pas infecté par le virus) ou faussement négatifs (un test peut être négatif même si vous êtes infecté par le virus). Vous pourriez alors être placé inutilement en isolement ou être faussement rassuré quant au risque de transmettre la maladie à votre entourage. »

Et voici ce qu’on répond à la question « Les tests de détection sont-ils efficaces en l’absence de symptômes ? » :

« Jusqu'à maintenant, il n’est pas possible de confirmer que les tests faits chez des personnes asymptomatiques sont concluants. Toutefois, pour une personne qui a des symptômes compatibles à la COVID‑19 et qui a été en contact étroit avec un cas confirmé, il est possible de considérer que cette personne a la COVID‑19, et ce, sans faire de test. »

Et pourtant ce sont de tels tests de dépistage que nous utilisons depuis une année, alors que l’existence de personnes porteuses asymptomatiques et contagieuses est la pierre angulaire de toute cette pandémie ! Et pourtant ce sont de tels tests qu’on utilisera pour réaliser le « dépistage préventif récurrent » des travailleurs de la santé qui refuseraient de se faire vacciner, et peut-être aussi des travailleurs d’autres secteurs. Voilà qui promet !