Armes à feu, argent comptant et criminalité

Les gouvernements occidentaux, qui prétendent lutter contre la criminalité violente et non violente, semblent bien décidés à rendre de plus en plus difficile d’avoir en notre possession des armes à feu. Pour l’instant, il est relativement facile, après avoir montré patte blanche à l’État, d’acquérir des armes de chasse. C’est déjà beaucoup plus difficile pour les armes de poing. Pour les armes d’assaut, cela est souvent interdit et, dans les juridictions où leur possession est toujours permise (par exemple dans certains États américains), ce droit fait l’objet d’attaques concertées de la part des grands médias, des bureaucraties policières et d’une partie assez importante de la classe politique. Je ne veux pas entrer ici dans le détail des lois sur les armes à feu selon les différentes juridictions. Il suffit ici de remarquer une tendance générale à interdire, à réglementer, à contrôler et à restreindre la possession d’armes à feu dans les pays occidentaux.

Nos gouvernements et nos grands médias prétendent justifier cette tendance par l’augmentation du nombre de meurtres commis avec une arme à feu, et par la fréquence croissante des fusillades (dans des écoles, dans des bars, dans des aéroports) et des règlements de comptes ou affrontements entre bandes criminalisées qui font parfois d’innocentes victimes. Ils nous disent que, s’il était plus difficile ou interdit de se procurer ces armes, de telles tragédies arriveraient moins souvent, bien qu’assez étrangement on continue d’avoir recours à la hausse des crimes et des massacres faits avec des armes à feu quelques décennies après l’adoption de lois visant à contrôler leur possession, justement pour rendre encore plus limitatives les lois qui portent sur la possession des armes à feu.

Il est vrai que nos gouvernements, les grands médias et les organisations policières ont d’autres raisons de vouloir réglementer ou interdire la possession d’armes à feu. Ils disent craindre que des criminels et des individus radicalisés, seuls ou organisés en bandes, résistent aux policiers avec des armes à feu ou les attaquent, et soient même à l’origine d’un mouvement insurrectionnel armé mettant en danger le gouvernement et notre démocratie. Si nous nous mettons dans la peau de ceux qui nous gouvernent ou qui servent de bras armé à ces derniers contre les criminels parfois radicalisés, nous sommes en mesure de comprendre pourquoi ils considèrent que la possession d’armes à feu par une partie non négligeable de la population pose problème. Les policiers préféreraient, quand ils interviennent pour faire respecter la loi ou appliquer un quelconque décret du gouvernement, être certains qu’ils n’auront pas affaire à des personnes armées. Quant aux gouvernements, ils voudraient pouvoir prendre les décisions difficiles qu’exige la crise plurielle que nous traversons sans avoir à craindre outre mesure le mécontentement de la population et les réactions violentes des franges radicalisés, ce qui est seulement possible quand les forces de l’ordre ont le quasi-monopole de la force, sauf quand elles se frottent au crime organisé, qui est capable de se procurer des armes illégalement, quelle que soit la législation en vigueur. Il est beaucoup plus facile pour nos élites politiques de gouverner dans ces conditions, sans avoir à craindre une forme de résistance armée, de petite ou de grande ampleur, qu’elle soit seulement défensive, ou qu’elle ait pour but d’obtenir d’elles des concessions ou à provoquer leur chute, ce qui serait nécessairement un attentat contre la démocratie, selon elles.

C’est dans ce contexte que les gouvernements occidentaux, avec l’aide des institutions financières et les grandes chaînes de magasins, semblent s’être aussi donné pour but de marginaliser de plus en plus l’usage de l’argent comptant, pour le faire disparaître d’ici quelques années. Il favoriserait la propagation des agents pathogènes et, pendant les périodes de confinement, il permettrait à certains commerces de rester illégalement ouverts et d’effectuer des transactions secrètes qui, par opposition à celles faites avec des cartes de débit et de crédit, ne permettraient pas d’identifier les commerces et les consommateurs récalcitrants. Alors que les cartes de crédit et de débit s’imposent de plus en plus comme les seules modes de paiement en personne et en ligne, et que l’argent comptant devient de moins en moins commode (il faut avoir assez de billets de banque sur soi, les guichets automatiques deviennent plus rares, il faut s’encombrer de pièces de monnaie après une transaction, parfois les commerces ne gardent pas assez d’argent dans leurs caisses pour faire régulièrement des transactions en argent comptant), il devient de plus en plus inhabituel et étrange de tenir au droit de faire des achats avec de l’argent comptant. Car si on n’a rien à cacher, pourquoi tient-on à faire des transactions de cette manière ? Ceux qui persistent ne deviennent-ils pas suspects au même titre que ces petits criminels qui ont toujours sur eux de l’argent comptant pour acheter et revendre des marchandises illégales, par exemple de la drogue ou des armes à feu ? Ou bien travaillent-ils au noir ? Ou s’ils sont des commerçants, font-ils des affaires pour lesquelles ils ne paient pas de taxes et d’impôts au gouvernement ?

Pour les gouvernements occidentaux et les organisations policières, les transactions faites avec des cartes de débit et de crédit sont donc beaucoup plus commodes que celles faites avec de l’argent comptant (ou des cryptomonnaies) en ce qu’elles permettent de surveiller les activités économiques déclarées illégales, les fraudes fiscales et le soutien financier d’organisations jugées dangereuses, en temps normal comme en temps d’urgence sanitaire, et éventuellement en temps d’urgence climatique, en temps de guerre ou en temps de troubles sociaux, comme pendant le « Freedom Convoy » au Canada, à l’occasion duquel le gouvernement a pu exiger des institutions financières le gel des comptes bancaires et des cartes de crédit des personnes qui ont participé à ce mouvement. Un tel système de surveillance et de contrôle des transactions financières permet aux gouvernements occidentaux de lutter contre le financement des organisations qu’ils déclarent illégales, criminelles ou dangereuses pour la démocratie ou eux-mêmes.


Imaginons maintenant une ville, une région ou une province fictive où le pouvoir du gouvernement a presque totalement disparu, et qui est désormais sous le contrôle d’une organisation criminelle ou d’un consortium d’organisations criminelles.

En l’absence presque totale de forces policières pour maintenir l’ordre, le crime organisé doit s’en charger, car le désordre le plus complet l’empêcherait de conduire de manière aussi rentable que possible ses activités. Ces mafieux ne pourraient pas s’en mettre plein les poches si des bandes organisées concurrentes faisaient le commerce des drogues et s’armaient pour se défendre contre eux et même les attaquer afin de les déloger de certaines parties de ce territoire. De la même manière, ils ne pourraient pas s’enrichir en offrant une « protection » aux commerces locaux si des organisations criminelles concurrentes s’armaient et offraient elles aussi une « protection ». Cela ne serait pas davantage possible si les commerçants, leurs familles élargies, leurs voisins et la communauté à laquelle ils appartiennent pouvaient s’armer librement avec des pistolets, des mitraillettes et des fusils d’assaut pour se défendre contre les mafieux qui leur imposent leur « protection » et commettent contre eux toutes sortes d’exaction en cas de refus, lesquelles peuvent compromettre l’existence desdits commerces et peuvent résulter en de graves blessures et même la mort pour les commerçants récalcitrants. Ainsi, la puissante organisation criminelle qui contrôle ce territoire imaginaire a tout intérêt à contrôler aussi étroitement le commerce et la possession des armes à feu, en réservant les plus dévastatrices d’entre elles pour ses hommes de mains, et en punissant sévèrement le trafic et la possession de telles armes par d’autres, afin d’éliminer ou de réduire considérablement la concurrence criminelle et les capacités de défense des personnes qui habitent ce territoire.

Cette organisation criminelle, qui peut œuvrer ouvertement sur le territoire qu’elle contrôle, n’a pas à cacher les transactions grâce auxquelles elle s’enrichit. Inutile donc de les faire avec de l’argent comptant (ou de la cryptomonnaie). Elle possède ou contrôle des institutions financières où les habitants de ce territoire détiennent des comptes bancaires et qui émettent pour eux des cartes de crédit et de débit. Dans un contexte où ils contrôlent les institutions financières, pourquoi donc les mafieux ne pourraient-ils pas mener ces activités à l’aide de ces institutions ? En fait, aussi longtemps qu’ils contrôlent ce territoire et ces institutions, ils ont plutôt intérêt à s’opposer aux transactions faites en argent comptant, puisque celles-ci échappent à leur surveillance et rendent donc possible pour d’autres le commerce de marchandises et de services dont ils veulent avoir le monopole, ou pour lesquels ils veulent qu’on leur paie une taxe. C’est pourquoi les transactions faites avec de l’argent comptant doivent leur sembler suspectes, voire comme des tentatives de pratiquer des formes interdites de commerces interdites sur leur territoire, ou de les frauder de l’argent qui leur est dû.

Grâce à cette main-mise sur les institutions financières locales, cette organisation criminelle peut empêcher les transactions financières incompatibles avec ses intérêts, geler les comptes bancaires des personnes qui y sont impliquées ou qui ne lui paie pas son dû, et même saisir leurs avoirs, afin de maintenir sa suprématie et faire comprendre à tous ceux qui habitent ce territoire que c’est elle qui est à sa tête et que rien ne peut s’y faire sans son accord.


Je ne veux pas continuer plus longtemps cette fiction, dont les personnes crédules pourraient tirer des conclusions hâtives, superficielles ou simplement fausses. Je le dis encore une fois pour ces dernières : l’organisation criminelle dont je parle est fictive, de même que le territoire qu’elle contrôle. Ils n’existent pas. Quant à nos gouvernements, ils se distinguent de cette organisation criminelle par le fait que leurs actions sont motivées par la défense de nos intérêts et des valeurs démocratiques, et non par l’amour du pouvoir et l’appât du gain. Ce que je veux montrer, c’est que des moyens semblables peuvent être utilisés indistinctement pour servir de bonnes ou de mauvaises causes, qui font respectivement de ces moyens de bons moyens ou de mauvais moyens. Bref, les objectifs qu’on se donne changent tout à l’affaire.