Appel à la réconciliation, propagande de guerre, diversion et répression

Depuis deux semaines, nous en avons vu de toutes les couleurs. Non seulement le gouvernement fédéral a invoqué la Loi sur les mesures d’urgence, a insisté pour faire approuver ces mesures par la Chambre des communes, et les a annulées deux jours plus tard, mais des gouvernements provinciaux et des journalistes se sont aussi opposés à ces mesures et ont adressé un appel à la réconciliation de la population canadienne qui n’aurait jamais été aussi divisée, alors que ce sont précisément eux qui ont travaillé à nous diviser en bons citoyens et en récalcitrants, et en vaccinés et en non vaccinés ou antivax depuis deux ans. Et voilà maintenant que tout bascule : les journalistes et le gouvernement parlent surtout de l’intervention militaire russe en Ukraine, la COVID étant reléguée au deuxième plan. Et quand on en parle, c’est pour dire qu’on assouplit peu à peu les mesures, et pour préparer la fin de l’état de l’urgence sanitaire prévue pour bientôt, même si le gouvernement du Québec entend se garder la possibilité d’avoir recours à des mesures d’exception sans avoir à déclarer à nouveau l’état d’urgence sanitaire. Tout a changé tellement rapidement que nous devrions nous méfier. J’ai pour ma part beaucoup de peine à croire que la crise sanitaire tire simplement à sa fin, et que tout le battage médiatique à propos de l’offensive russe en Ukraine n’arrange pas le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux. C’est pourquoi j’essaierai ici de voir comment tout ça peut s’articuler.

 

Appel à la réconciliation et à la sortie de crise

Après une réaction hystérique du gouvernement fédéral canadien, du gouvernement provincial ontarien et du conseil municipal d’Ottawa vis-à-vis du Freedom Convoy, ou même simultanément, nous avons entendu plusieurs appels à la réconciliation au Canada. Des gouvernements provinciaux, qui ont pourtant usé de coercition envers les non-vaccinés et qui ont mis en place une politique sanitaire ségrégationniste, ont pris position contre les mesures d’urgence du gouvernement fédéral à l’égard du Freedom Convoy. On a même pu lire dans la Presse, qui fait du zèle sanitaire depuis deux ans, des articles contre ces mesures d’urgence. Le premier ministre du Québec s’est prononcé contre les mesures d’urgence imposées par le gouvernement fédéral, car elles aggraveraient une division qu’il a lui-même causée dans la population québécoise, par les pressions exercées sur les non-vaccinés et leur exclusion de la vie sociale, grâce au passeport vaccinal. Même le premier ministre de l’Ontario, qui a déclaré l’état d’urgence dans sa province à cause des manifestations des camionneurs, s’est adressé aux Ontariens pour leur dire qu’il faut aller de l’avant, que cette situation est intenable, qu’il faut apprendre à vivre avec le virus et respecter le choix des non-vaccinés. La gouverneure générale du Canada, après avoir proclamé les mesures d’urgence et les avoir annulées comme l’a voulu Justin Trudeau, a déclaré vouloir participer à la guérison du pays et a invité les Canadiens à faire preuve d’ouverture d’esprit et à discuter sur la manière dont ils veulent vivre ensemble. On me permettra donc de douter de la sincérité des déclarations faites par ces personnes, et de me demander s’il y a là un calcul.

D’abord, il est faux d’affirmer que le Freedom Convoy est l’expression de la division de la population canadienne. Cette division entre bons citoyens obéissants et vaccinés et mauvais citoyens récalcitrants, non vaccinés et prétendument complotistes, extrémistes, racistes, homophobes et misogynes, a été créé artificiellement par nos gouvernements et les journalistes. Ce que le Freedom Convoy a réussi à faire, c’est au contraire d’unir des Canadiens vaccinés et non vaccinés, et même des anglophones et des francophones, comme ils ne l’ont jamais été, même avant l’arrivée du virus. C’est du jamais vu. De toute évidence, cette union n’a pas plu au gouvernement canadien, au gouvernement ontarien et, dans une moindre mesure, aux autres gouvernements provinciaux. Ce que veulent ces gouvernements, c’est que nous soyons unis derrière eux et non contre eux. Et s’ils ne peuvent pas obtenir cette unité, il leur importe de nous diviser entre bons et mauvais citoyens, en dirigeant la colère des bons contre les mauvais, ce qui a pour effet de canaliser une partie de la colère des mauvais contre les bons, et de la détourner d’eux. Et quand un mouvement d’opposition prend suffisamment d’ampleur pour rallier beaucoup de citoyens canadiens, quand il n’est pas possible de simplement le repousser dans les marges de la société, le plus sage n’est pas d’essayer d’écraser ouvertement ce mouvement, mais plutôt de le diluer.

L’appel tardif à l’ouverture et à la réconciliation de certaines personnalités politiques et de certains journalistes a justement cette fonction, ainsi que les assouplissements ou la fin des mesures sanitaires, selon les provinces. En effet, s’il n’est pas possible d’obtenir le « désarmement » des opposants qu’on a irrités en les accusant de tous les maux et en prenant contre eux toutes sortes de mesures, il est néanmoins possible d’atténuer l’opposition entre ceux qui réclament la fin des mesures sanitaires et ceux qui s’en accommodent ou les croient utiles ou même indispensables, en mettant fin à ces mesures ou en les assouplissant. Les mesures étant abolies ou plus faciles à supporter, la force et l’étendue des réclamations des opposants diminuent. Quant à ceux qui se rangent du côté du gouvernement, ils croiront pour beaucoup (à part les plus froussards) que le temps est venu d’assouplir ces mesures et même de les abolir, puisque c’est ce que le gouvernement et les journalistes leur disent. Un certain rapprochement entre les personnes récalcitrantes et les personnes obéissantes sera donc possible, du moins en surface. Ce rapprochement aura peut-être pour effet de ramollir les opposants les moins déterminés, surtout s’ils entendent des personnes jusque-là obéissantes dire qu’elles en ont assez des mesures sanitaires, que ça a assez duré, qu’il faut apprendre à vivre avec le virus, sans songer que si l’automne prochain le gouvernement et les journalistes leur disent qu’un nouveau variant est apparu, qu’une nouvelle vague arrive, que les hôpitaux vont être saturés et qu’il faut imposer à nouveau des mesures sanitaires, elles obéiront probablement comme elles l’ont fait les autres fois.

C’est encore pire si ces opposants plus modérés croient que les autorités politiques et sanitaires provinciales ont fini par entendre raison simplement parce qu’elles ont pris position contre le recours à la Loi sur les mesures d’urgence par le gouvernement fédéral et qu’elles mettent peu à peu fin aux mesures sanitaires, en allant parfois jusqu’à se réconcilier avec elles. En fait, une telle réconciliation pourrait se retourner contre ces opposants modérés ou mous, et aussi contre les opposants plus conséquents et plus fermes dont ils se sont éloignés. Malgré la levée progressive des mesures sanitaires, nous n’avons aucune garantie que nos gouvernements provinciaux ne les remettront pas progressivement en place l’automne prochain, et que l’usage du passeport sanitaire ne sera pas étendu, puisque son usage a seulement été suspendu, et qu’on pourrait profiter du printemps et de l’été pour le mettre au point et le rendre plus facile d’utilisation, notamment en ayant recours la biométrie pour identifier les personnes, ce qui en ferait une sorte d’identité numérique. Puis il ne faut pas laisser nos gouvernements s’en tirer aussi facilement : ils nous ont pris deux années de notre vie, ils ont mis à mal les finances publiques, ils ont détruit notre économie, ils ont agi de manière très autoritaire et refusé catégoriquement la discussion sous prétexte d’urgence sanitaire, et ils ont inculqué à la population canadienne une idéologie sanitaire dont il ne sera de toute évidence pas facile de nous libérer. Ils doivent rendre des comptes pour tout ce qu’ils ont fait.

Qu’on me comprenne bien : je ne tiens pas à être à couteau tiré avec beaucoup de mes concitoyens et à entretenir des rapports hostiles avec le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial. Je m’en passerais bien. Mais puisque la réconciliation qu’on nous prêche m’a tout l’air d’une trêve ou d’un cessez-le-feu dont on espère qu’elle endormira la vigilance des opposants et qu’elle réduira leur combativité, je ne vois pas en quoi elle pourrait nous être avantageuse. Elle nous ferait déposer les armes, et elle donnerait le temps à nos ennemis de préparer la prochaine offensive contre nos droits et nos libertés, lesquels pourraient compter sur la collaboration de plusieurs de nos concitoyens avec lesquels nous sommes censés nous réconcilier.

Ne nous laissons pas tromper. Alors qu’on parle de réconciliation et de guérison du Canada, il n’y a pas d’amnistie pour ceux qui ont participé au Freedom Convoy. S’il est vrai que les comptes bancaires de plusieurs d’entre eux ne sont plus gelés depuis la révocation des mesures d’urgence, le gouvernement fédéral continue de geler d’autres comptes grâce à des ordonnances de la Cour, la police d’Ottawa déclare qu’elle veut mener une longue enquête pour que soient poursuivies et punies toutes les personnes qui ont participé aux manifestations illégales, les organisateurs du Convoi continuent de faire face à de graves accusations et se sont parfois vus refuser leur libération sur caution (Tamara Lich), des entreprises de camionnage ont été fermées par le gouvernement ontarien et le maire d’Ottawa dit vouloir vendre les camions saisis pour rembourser les dépenses de la ville en sécurité. Pouvons-nous faire confiance aux autorités politiques qui continuent de donner la chasse aux opposants quand elles nous prêchent la réconciliation ? Pourrons-nous nous fier à elles dans le futur ?

En ce qui me concerne, je ne pardonnerai pas et je n’oublierai pas. J’ose croire que je ne suis pas le seul.

 

Propagande de guerre, diversion et répression

L’intervention militaire de la Russie en Ukraine tombe pour le moins dire très bien pour nos autorités politiques et sanitaires. Elles doivent s’en frotter les mains tellement elle sert bien la politique intérieure canadienne. Alors que ça commençait à devenir chaud pour nos gouvernements, au point qu’ils ont probablement dû assouplir ou lever les mesures sanitaires plus rapidement et dans une plus grande mesure qu’ils n’en avaient initialement l’intention, voilà que l’hystérie antirusse peut reprendre. Du jour au lendemain, les médias de masse se sont retrouvés à faire de cette invasion leur principal sujet, lequel éclipse notre misérable virus. Non seulement ça permet à nos gouvernements de détourner l’attention des Canadiens de ce qu’ils font ou de ce qu’ils leur préparent, mais cela permet aussi d’unir et de contrôler les Canadiens grâce à leur aversion pour les Russes et Vladimir Poutine. La colère dont devraient être la cible nos gouvernements est donc redirigée vers l’extérieur, ce qui nous rend certainement plus faciles à gouverner. Quand nous nous scandalisons des horreurs qui se passeraient en Ukraine à cause des méchants Russes, nous nous occupons beaucoup moins de ce qui se passe sous notre nez, et de ce qui nous concerne directement. Il a toujours été plus facile de nous occuper des affaires des autres, au lieu de nous occuper de nos propres affaires. La situation actuelle ne fait pas exception.

Mais il y a plus. Soit par calcul, soit par bêtise, le gouvernement fédéral canadien (de concert avec les autres gouvernements occidentaux) risque d’aggraver les conséquences des mesures dites sanitaires et des plans de la relance économiques en raison de son attitude hystérique à l’égard de la Russie, du refus de tenir compte de son insignifiance sur l’échiquier mondial, et de ses efforts pour rompre ou compliquer les relations économiques avec la Russie, qui est pourtant un important exportateur d’hydrocarbures et de céréales. Il en résultera probablement, dans les pays occidentaux, une aggravation de l’inflation pour le pétrole, le gaz naturel et la nourriture, et peut-être aussi une aggravation des problèmes d’approvisionnement. Le tout avec le consentement de la majorité de nos concitoyens à ces sanctions, y compris beaucoup de ceux qui ont réussi à voir clair à travers les politiques sanitaires de nos gouvernements, et qui ont pris part à des actions d’opposition.

Cette intervention militaire russe est donc une aubaine pour nos gouvernements. Ils ont tout intérêt à peindre sous les couleurs les plus sombres les souffrances du peuple ukrainien, et d’occulter tout le mal que les gouvernements sous tutelle occidentale ont fait aux Ukrainiens (qu’ils soient russophones ou non) depuis le coup d’État de 2014, qu’il s’agisse des exactions du SBU ou des bataillons néo-nazis contre les civils, ou de l’effondrement économique qui résulte de la corruption endémique de la classe politique. Je dirais même que les gouvernements occidentaux, si leur objectif principal est de consolider leur pouvoir sur nous, ont tout intérêt à ce que les tensions avec la Russie durent et s’aggravent. Les mouvements d’opposition qui réussiraient à prendre forme dans ces circonstances pourraient avec quelque crédibilité être expliqués par l’ingérence russe. (Ce qu’on a déjà essayé de faire avec le Freedom Convoy, mais sans y parvenir, ce qui a eu pour effet qu’on a finalement décidé d’expliquer l’existence de ce mouvement par l’ingérence de groupes d’extrême-droite américains.) La répression des opposants par le gouvernement fédéral pourrait alors être plus dure que ce que nous avons vu avec les camionneurs, et ce, avec l’accord d’une partie plus grande de la population. Les restrictions qu’on nous imposerait à cause de la menace russe renforceraient donc celles qu’on nous imposerait ou continuerait de nous imposer à cause du virus.

Toute cette histoire sent très mauvais. Il y a décidément quelque chose de pourri au Canada.